Une synthèse des déclarations que j'ai formulées sur la situation en Nouvelle Calédonie et reprises sur le site internet de l'hebdomadaire du Point comporte une erreur de date qui rend le texte peu compréhensible.Le texte ci après rétablit l'intégralité de mes déclarations.
Quel est l’objet de ce projet de loi déjà voté par le Sénat et qui sera discuté à l’Assemblée le 13 mai en séance publique?
Il concerne la composition du corps électoral spécial qui s’applique aux élections territoriales en Nouvelle calédonie . Depuis la signature de l’Accord de Nouméa, en 1998, seuls les citoyens calédoniens ont le droit de vote quand ils remplissent trois conditions cumulatives : être inscrit sur la liste électorale générale (la même qu’en métropole), avoir dix ans de résidence en Calédonie et en outre être inscrit sur le tableau électoral annexe établi cette année 1998. Conséquence : tous ceux arrivés après cette date sont exclus, quelle que soit la durée de leur séjour. Cette disposition a des effets dont l’ampleur a été sous-estimée puisqu’aujourd’hui 43000 personnes soit un cinquième des inscrits de la liste générale ( qui eux participent aux élections nationales) ne peuvent voter pour élire les membres des trois assemblées provinciales et les élus du Congrès alors qu’elles payent impôts et cotisations sociales calédoniens . C’est ce que l’on nomme le corps électoral « gelé » (sic !) .Le projet gouvernemental procède au « dégel », en supprimant la référence à 1998 pour les élections à venir, tout en maintenant la condition des dix ans de résidence pour obtenir le droit de vote. Le corps électoral sera « dégelé » (resic !) et deviendra « glissant » .Conséquence : 25800 personnes nouvelles pourront voter ( Kanak et européens) dont 12441 nées sur le territoire. Resteront exclues 17000 personnes installées depuis moins de dix ans. Ce texte mettra fin à des situations absurdes, comme celle de ce couple mixte où la femme kanak avait le droit de vote, alors que son époux européen arrivé depuis 22 ans sur le territoire ne l’avait pas. En outre, comme l’a souligné le Conseil d’Etat, le corps électoral « gelé » est appelé à disparaître au fil du temps (et des décès) faute de se renouveler, car seuls les enfants (et non les autres parents) peuvent y entrer .Ce dispositif particulier était toutefois provisoire car limité à la durée de l’Accord de Nouméa . Or ce dernier est terminé depuis 2021comme l’a reconnu le Conseil d’Etat. Depuis cette date, il revient aux partenaires locaux et à l’Etat d’élaborer un nouvel accord, ce qu’ils ne sont pas parvenus à conclure à ce jour.
Le projet de loi suscite de nombreuses manifestations importantes en Calédonie entre les indépendantistes qui s’opposent au « dégel » et les loyalistes (non indépendantistes) qui le réclament depuis longtemps et considèrent que ce délai de dix ans est encore trop long, alors que notre constitution prévoit que le suffrage est universel ,égal et secret. Pourquoi cette exception en Calédonie ?
En Calédonie, dans les années 1980 on a connu la guerre civile (une centaine de morts) entre indépendantistes kanak et non indépendantistes européens qui se traitaient réciproquement de terroristes. Grâce à l’action de Michel Rocard, Premier ministre, la paix a été instaurée en 1988 avec les accords de Matignon-Oudinot. (la fameuse poignée de main entre le leader kanak Jean Marie Tjibaou et le leader loyaliste Jacques Lafleur ). Avec cet accord, les deux camps reconnaissent que l’accès à l’indépendance ne pourra s’obtenir que de manière pacifique en recourant au suffrage populaire. Toutefois les Kanak, instruits par leur histoire et les pratiques coloniales passées, demandent l’assurance qu’ils ne seront plus marginalisés par l’arrivée massive de nouveaux électeurs métropolitains, ce qu’ils obtiennent avec ce droit de vote réservé aux personnes ayant dix ans de résidence. Cette condition de dix ans est reprise dans l’Accord de Nouméa, et inscrite dans un titre XIII-provisoire- de la Constitution, car elle déroge aux dispositions électorales habituelles. A l’occasion de l’élaboration de la loi organique de 1999 relative au nouveau statut de la Calédonie issu de l’Accord de Nouméa j’ai fait prévaloir, comme rapporteur, la notion de « gel » par référence au tableau électoral annexe établi en 1998, en me référant à l’esprit de l’Accord (le Sénat aura la même interprétation). Le Conseil constitutionnel se référant à la lettre, annule ce gel ce qui a conduit les indépendantistes à envisager la remise en cause de l’Accord. Il faudra plusieurs années de discussions pour que finalement, en 2007, le président Chirac fasse rétablir cette référence et donc le « gel » dans la Constitution. A ce moment le consensus de 1998 n’existe plus et le vote est beaucoup plus partagé, malgré les assurances du rapporteur (LR) qui souligne, outre le caractère temporaire de cette disposition, qu’elle ne concernera qu’un nombre limité de personnes (de l’ordre de 7 à 10% des électeurs). On sait aujourd’hui que la réalité fut différente, puisque ce nombre concerne 42595 personnes (en 2023) soit un quart à un cinquième du corps électoral selon les références utilisées. Appliquée aux élections présidentielles cette proportion réduirait d’environ dix millions le nombre des électeurs inscrits (48,7 millions en 2022 ).Soyons clairs : organiser aujourd’hui en Calédonie une élection avec le corps électoral actuel devient impossible juridiquement et politiquement car le Conseil constitutionnel annulerait sans aucun doute l’élection ,ce qu’a d’ailleurs laissé entendre le Conseil d’Etat dans son avis. Comme ce dispositif a toujours présenté un caractère transitoire il est évident que la réforme s’impose, mais fallait –il procéder unilatéralement ?
Récemment trois anciens Premiers ministre (Ayrault,Vals et Philippe) ont fait part de leur inquiétude concernant le risque d’un retour éventuel de la violence que l’examen parlementaire de ce texte suscite et ont réclamé au Premier ministre Attal de prendre une initiative. Que faut il en penser ?
Quand je lis les propos radicaux de certains indépendantistes , selon lesquels ce texte vise à « recoloniser » la Nouvelle calédonie , alors qu’il reprend une revendication ancienne de leur camp, je suis pour le moins perplexe sur leur rapport à la réalité, d’autant plus que le nombre de personnes qui quittent la Calédonie est plus important que celui des nouveaux arrivants et cela chaque année depuis 2017, un phénomène unique et nouveau dans l’histoire calédonienne.
Quoiqu’il en soit le fait que le dialogue des indépendantistes avec le ministre de l’Intérieur, en charge de ce dossier, est rompu, souligne les erreurs d’analyse du Gouvernement relatives au contexte calédonien.
Alors que depuis la période Rocard, la Nouvelle Calédonie était devenu le « domaine réservé » du Premier ministre, ce n’est plus le cas depuis le départ d’Edouard Philippe et c’est une faute car la vision plus globale de Matignon est mieux adaptée aux réalités calédoniennes que la vision politique et sécuritaire du ministère de l’Intérieur. En outre, la séquence terminale de l’Accord de Nouméa, qui comportait trois consultations binaires (oui/non) -avec un autre corps électoral spécifique -(2018,2020,2021) a radicalisé les positions de chaque camp comme on l’a constaté, lors des dernières élections territoriales de 2019. De plus, la fixation unilatérale de la troisième consultation dans une période de deuil kanak consécutive au covid a conduit les indépendantistes à s’abstenir massivement ce qui en réduit la légitimité politique (et non juridique). Quelques mois plus tard, la nomination de la présidente loyaliste de la Province Sud comme secrétaire d’Etat du Gouvernement de la République a démontré que l’Etat devenait partisan, ce qui n’est pas l’attitude adéquate pour négocier des compromis. Le choix d’un député loyaliste calédonien pour rapporter un texte aussi sensible, au mépris de la jurisprudence parlementaire n’est pas de nature à favoriser le consensus local alors même que celui-ci est plus difficile à réaliser car la situation politique calédonienne s’est sensiblement modifiée. Les deux camps politiques opposés, mais unis derrière leurs chefs, se sont transformés, au fil du temps, en une multitude de partis et de clans où les querelles personnelles et de pouvoir, toujours plus fortes dans un territoire limité, l’emportent sur la construction d’un destin commun rendant difficiles, voir politiquement suicidaires, les positions raisonnables. De plus, en 2019 la communauté wallisienne regroupée dans le grand Nouméa a élu trois représentants au Congrès dont les alliances changeantes favorisent des majorités alternatives( actuellement avec les indépendantistes). Cette complexification du paysage politique exige davantage de diplomatie et d’aptitude au dialogue, caractéristiques du palabre océanien .
Enfin la situation économique du territoire s’est considérablement dégradée ,en particulier l’industrie du nickel.
On sait que la Calédonie fait partie des plus importants producteurs de nickel . De plus ce métal est nécessaire pour les batteries des automobiles électriques. Il apparait que les usines calédoniennes sont en difficulté . Que se passe t-il ?
La Calédonie s’est construite sur l’industrie du nickel autour de la SLN (Société Le Nickel) qui fut jusqu’aux années 2000 la seule usine métallurgique exploitant un domaine minier important. Dans le cadre de l’ accord de Bercy qui a permis celui de Nouméa , la SLN a été contrainte de vendre à la province Nord, dirigée par les indépendantistes ,un domaine minier qui a justifié la réalisation , non sans difficultés de l’usine du Nord marquant ainsi l’entrée des Kanak dans l’industrie du Nickel. Simultanément la province loyaliste Sud a implanté une usine de traitement du nickel, selon un procédé chimique. Ces trois usines sont en grande difficulté au point que celle du Nord est en arrêt provisoire, qui pourrait être définitif en juillet. Il apparait que dans un marché du nickel spéculatif la production calédonienne n’est pas compétitive face aux productions indonésienne et chinoise. En outre le nickel calédonien n’est pas adapté pour les batteries sauf à réaliser des investissements coûteux non financés. Le ministre des finances Bruno Lemaire a mis au point un « plan nickel » qui est loin de satisfaire le Congrès calédonien qui ne l’a toujours pas approuvé. Or l’industrie du nickel emploie un quart des salariés privés du territoire ! Le développement d’un chômage important entrainerait des conséquences financières (charges accrues et recettes en moins) pour le régime social calédonien déjà déficitaire .Plus globalement c’est l’ensemble de l’économie calédonienne qui serait atteinte .alors que pour faire face à ce qui s’apparenterait à un séisme, la Calédonie n’ a plus de capacités d’emprunt son endettement étant déjà hors normes
La crise économique s’ajoutant à la crise politique, la situation en Calédonie devient dangereuse . Il est urgent et nécessaire que le Premier ministre Gabriel Attal se saisisse du dossier calédonien , qu’il redonne à l’Etat son impartialité et qu’il prenne les initiatives qui permettront le retour au dialogue condition de l’élaboration consensuelle d’un nouvel accord qui assure l’avenir de la Nouvelle calédonie.